Thierry Tillier: Rock and Slow
Pierre-Olivier Rollin, tract, 1999

N’en déplaise à certains, ce ne sont ni les ciseaux, ni la colle, ni l’âge de la colle qui font le collage, mais bien l’image et, dans une moindre mesure, le tempo (rapide). Qu’elle soit figurative ou non, tactile ou lisse, colorée ou blanche, et que sais-je encore, l’image fait bel et bien le collage. C’est d’elle que naît l’impulsion initiale à cette «rencontre inopinée», cet «accouplement de deux réalités en apparence inaccouplables sur un plan qui en apparence ne leur convient pas» d’où jaillit l’étincelle poétique qui fait la magie envoûtante du collage. C’est en ce sens qu’il y a tempo: le collage n’est pas un exercice de contemplation lente, mortellement asphyxiant. Il explose immédiatement à l’esprit ou enchaîne les coups en une succession bien tassée de directs placés, sans qu’il soit jamais à débusquer; sauf lors d’abjectes manipulations destinées à satisfaire seulement un propos peu crédible aux relents pesteux. Le collage doit se voir, doit se crier, doit revendiquer haut et fort son statut de collage!

Le monde est évidemment trop vaste et les images trop foisannantes pour limiter le répertoire du collage. Surtout aujourd’hui, dans une société que l’on aime à dire «de l’image commentée». Rien, aucun texte, aucune image, ne peut s’opposer aux coups de ciseaux. Tout peut être découpé, plié, déchiré et collé à autre chose. Il ne peut être de tabous en matière de collage. Sauf de la décision du colleur. Libre à lui de porter ses outils sur certaines images à son goût, plutôt que sur d’autres, de se laisser guider par ses penchants vers des «ailleurs» qui deviennent alors vite des «ici». De toute façon n’oubloions jamais que le regardeur fait autant le collage que le colleur.

Deux motivations historiques semblent guider le collage: l’esthétique et la subversion. A dire vrai, on distingue seulement pour la «commodité de la conversation», car elles sont irrémédiablement enlacées comme deux amantes mortes. L’une ne va pas sans l’autre: l’une est source de l’autre; l’autre découle de l’une, comme le sont la colle et les ciseaux. Thierry Tillier en sait quelque chose; lui qui navigue, mi-ivre, mi-amusé, entre elles; amorçant un pas avec l’une, pour finir en embardée avec l’autre. Ses collages tiennent à la fois d’une maîtrise plastique (quel ciseleur! quel colleur!) et de petites provocations suscitées par ses papiers découpés dans les revues S.M., plus ou moins soft, dans les journaux, quotidiens ou internationaux, dans le foisonnement de signes administratifs qui enrichit la poste (tant mieux!), dans les livres précieux qui recensent, comme des censeurs, les chefs-d’œuvre du grand Art.

Ainsi, les plus jolies filles, presque nues et poings liés, attendent, mi-lascives, mi-actives, les grandes figures iconographiques d’une histoire de l’art qui se rappelle alors que le Christ aussi était maso (évidemment) et sado (e.a. la flagellation des marchands de lacets devant le temple). Jamais d’esthétique sans gouttes de subversion, jamais de provocation sans travail plastique, jamais d’exclusive et de gratuité, toujours cet équilibre qui fait balancer le collage entre le Beau et le Scandaleux.

Thierry Tillier écrit aussi, comme il découpe et colle. Il jette les mots sur les pages comme on compulse distraitement des magazines, dans la salle d’attente du médecin ou de l’assistance publique, à la recherche de l’image ou du mot qui fera oublier notre attente et sa raison. Du fourmillement verbal de sa pensée, il taille des bouts de mots, des brides de phrases, qu’il colle les unes aux autres, selon un rythme télégraphique dont il ressent merveilleusement la musicalité. Il y a dans ses textes les mêmes consonances et dissonances que dans ses collages, les mêmes enchaînements et éclatements, les mêmes enlacements et refoulements. Son art tient à la fois du rock (franchement punk) et du slow (délibérément sexe!).